Marie-Claude DUPUIS Marie-Claude DUPUIS © DR

Directrice stratégie, innovation, développement du groupe RATP depuis février 2017, Marie-Claude Dupuis pilote, de manière transversale, la stratégie de développement du groupe. Entre Maas, transports innovants et quartiers d’affaires « circulaires », elle décrit comment l’opérateur historique des transports parisiens entend se développer – en France comme à l'international.

Quelle est votre mission au sein du groupe RATP ?

Le service innovation stratégie et développement a été créé il y a un peu moins de deux ans, à l’initiative d’Elisabeth Borne, alors p-dg du groupe. Sa mission est transversale, c’est pour cela que je suis également membre du Comex, afin de pouvoir m’appuyer sur tous les services du groupe, et animer la stratégie de l’établissement public RATP, bien sûr, mais aussi des filiales de droit privé.

Quelle stratégie mettez-vous en œuvre ?

La stratégie a été fixée par le plan d’entreprise, dont les principaux axes sont le digital, l’ouverture à la concurrence, la RSE et le développement de nouvelles activités. La « smart city », pour moi, cela veut dire une ville au service de l’humain. Et donc, contrairement à ce que l’on pourrait croire, une ville sobre en énergie. Dans les transports, en particulier, les économies d’énergie possibles sont énormes. Notre objectif, inscrit au plan, est de diviser par deux la production de CO2 et de réduire de 20 % la consommation énergétique par voyageur au kilomètre. Cela passe, à Paris, par la technologie Led pour tous les éclairages du métro parisien, ce qui nous a fait gagner, en quelques années, 30 % de consommation. Et la technologie ayant continué d’évoluer, nous allons de nouveau remplacer tous les éclairages pour économiser encore 50 % d’énergie.

Autre moyen mobilisable dans les transports : la production de chaleur. Dans deux stations en cours de construction sur la ligne 14 prolongée, Porte de Clichy et Mairie de Saint-Ouen, nous mettons en place la géothermie, qui couvrira les besoins de la gare, et dans le cas de Saint-Ouen, 40 % des besoins d’un bâtiment connexe. Nous nous sommes par ailleurs lancés, avec Paris Habitat, dans la récupération de la chaleur de la ligne 11 pour couvrir une partie des besoins de chaleur de certains immeubles d’habitation. Les difficultés sont à la fois techniques et juridiques : nous nous sommes rapprochés de la CPCU, qui a le monopole des réseaux de chaleur à Paris, pour voir quelles pourraient être les modalités de notre participation au réseau. D’une manière générale, les économies d’énergie apportent un triple dividende à un groupe comme le nôtre : à la fois financier, environnemental et concurrentiel, aussi bien en France qu’à l’international. Ce sont des sujets qui donnent une expertise au groupe pour conquérir de nouveaux marchés.

Le digital est un autre axe de développement stratégique pour les opérateurs de transports. Comment intégrez-vous la problématique du Maas (« Mobility as a service ») ?

Le Maas, cela veut dire permettre à l’utilisateur de trouver le meilleur moyen de se déplacer, partout et à tout moment, en utilisant toutes les options disponibles, y compris privées, comme l’autopartage, le covoiturage, le taxi... Cette multimodalité implique bien sûr des services digitaux, pour la rendre possible. La Loi d’orientation des mobilités (LOM), qui sera discutée l’année prochaine, fait du Maas un axe fort de développement, en zone dense comme en zone peu dense. Les discussions, qui ont déjà commencé, seront intenses d’ici l’adoption du texte, en particulier avec les géants du net, qui sont certes experts dans la gestion de données, mais qui n’ont pas d’objectifs de service public ni même de vision de l’intérêt général, comme l’opérateur historique que nous sommes. Outre l’aspect digital, sur lequel nous voulons rester en pointe, il faut aussi organiser cette multimodalité des transports sur le plan physique, c’est à dire dans la ville.

Comment organisez-vous cette multimodalité ?

La RATP innove aussi sur ce terrain, et nous avons trouvé un démonstrateur avec l’appel à projets urbains innovants Inventions la Métropole du Grand Paris (IMGP). Avec le projet Lumière de Pleyel, sur ce qui sera un des plus importants nœuds du Grand Paris Express, nous créons, avec Engie, un centre de remisage de bus électriques, qui sera, en journée, un centre logistique ouvert à d’autres acteurs, et un hub urbain multimodal pour les différents modes de transport.

Photo illustration caÌble UP bisLe câble urbain, axe de développement pour le groupe RATP. DR

Justement, la RATP innove aussi en matière de modes de transport, quels sont les axes de développement ?

Deux modes de transports nouveaux sont au cœur de notre stratégie: les câbles urbains et les navettes autonomes. Le transport par câble présente des avantages indéniables en zone urbaine dense. Nous venons de rendre public, au Forum des projets urbains, le 13 novembre dernier, le partenariat qui nous lie avec Poma et Eiffage pour le développement des transports urbains par câble. Les difficultés juridiques (et politiques) inhérentes à un mode qui survole les habitations peuvent être dépassées par les innovations techniques en cours, nous en sommes convaincus. Le potentiel de développement, en Ile-de-France et ailleurs, est important.

Pour ce qui est des navettes autonomes, c’est une solution pour les zones non denses, là où l’auto-solisme est très développé et où les bus qui circulent sont parfois vides. Evidemment, l’absence de chauffeur - qui ne veut pas dire absence de personnel dans le véhicule - permettrait à la fois de baisser les coûts et de desservir au plus près les usagers. Notre conviction est que le véhicule autonome aura un débouché commercial en transports publics bien avant de se généraliser aux utilisateurs individuels. Ce n’est même pas un horizon lointain : les bus autonomes en site propres sont quasiment fonctionnels. Nous avons, à ce titre, invité tous les constructeurs qui le souhaitent à venir tester leurs machines sur une de nos lignes franciliennes en fonctionnement, en site propre sur l’intégralité de son parcours.

En quoi consiste Les Deux Rives, cette initiative de « quartier d’affaires circulaire » ?

Ce projet, qui a un an, est issu de la rencontre de deux volontés fortes : d’un côté, l’adjointe à la maire de Paris Antoinette Guhl (à l’économie sociale et solidaire, l’innovation sociale et l’économie circulaire, NDLR), et de l’autre la RATP, avec son agenda RSE très poussé. Le quartier situé à proximité des gares de Lyon et d’Austerlitz, regroupe des bureaux du groupe, plusieurs autres grandes entreprises et un tissu fourni de PME, est le terrain de jeu idéal. L’objectif a été de rencontrer ces entreprises, pour mettre en commun nos agendas RSE. Deux axes se sont alors dégagés : les déchets et la mobilité. Et la dynamique est incroyable. On ne s’attendait pas à un tel engouement, au milieu d’un quartier d’affaires. Les actions vont de la collecte collective de piles usagées à la récupération de mobilier inutilisé pour le valoriser. Nous n’en sommes qu’au début, mais le potentiel est d’une centaine d’entreprises partenaires. C’est la RATP qui pilote cette expérimentation.

Quel est l’intérêt d’un tel engagement ?

C’est un laboratoire à grande échelle pour nos idées, au sein d’un groupe où les collaborateurs portent l’intérêt général au cœur de leurs valeurs. Et là encore, comme pour les innovations dans le domaine énergétique ou les mobilités nouvelles, l’objectif est de renforcer notre différenciation par rapport à nos concurrents, notamment dans la perspective de la mise en concurrence de l’exploitation du réseau francilien.

Les 100 qui font la ville

Les 100 qui font la ville, un hors-série du magazine Traits Urbains