Youssef TOHME Youssef TOHME © Nadim Asfar

A la question « où habitez-vous ? », Youssef Tohmé répond en riant : « Je vis dans l'avion ». C'est vrai, entre son agence libanaise Y.Tohme/Architects&Associates ouverte à Beyrouth en 2008, son antenne parisienne, et ses projets, l'architecte-urbaniste mène presque une vie de nomade. De toute façon, il ne saurait pas où poser ses valises : « Je n'ai pas encore trouvé la ville idéale », précise le quarantenaire. Avant d'ajouter pensif : « elle n'existe certainement pas ».

La ville, pourtant, c'est bien ce qui l'habite. Diplômé de l’École d’architecture Paris-Villemin, il commence comme chargé d’étude au réaménagement de la gare d’Austerlitz, puis travaille entre 2000 et 2006, dans plusieurs agences parisiennes dont l’agence AJN (Ateliers Jean Nouvel). Parallèlement, il mène des projets personnels au Liban, dont le campus de l'innovation, de l’économie et du sport à Beyrouth en association avec l’agence 109 architectes. Bref, il a de l'expérience à revendre. Et toujours l'envie de se dépasser. « La mission d'un architecte ne doit pas se cantonner à dessiner des façades, être architecte demande une approche contextuelle, il faut une vision. Imaginer un paysage, ça c'est mon véritable métier ».

Une approche qui lui a certainement permis de remporter en 2012 le concours lancé par la Ville de Bordeaux pour l'aménagement d'un territoire de soixante hectares sur la rive droite. Baptisé Brazza, ce projet de quartier, aujourd'hui en construction, a très vite fait parler de lui, car c'est ici que Youssef Tohmé a lancé le concept des volumes capables, ces appartements ou maisons qui ne comprennent qu'une pièce à vivre, une cuisine, une salle de bains et des sanitaires, habitable en l'état, version loft, ou aménageable selon les budgets. « On a trop tendance à fabriquer des villes de façon générique, des villes figées. Je pense qu'à l'inverse il faut que la ville puisse évoluer. Bien sûr, il y a une intention dans tout projet, mais il faut aussi laisser la place aux variations », défend l'architecte-urbaniste. Vendus 20 à 30 % moins cher que ce que propose le marché traditionnel, les volumes capables ne peuvent pas et ne doivent pas, selon lui « devenir des produits génériques » : « c'est tout un esprit, celui du logement abordable, et pour cela, les volumes capables doivent bénéficier d'un appui politique ».

Cette intervention de la puissance publique dans la fabrication de la ville, il en cherche depuis toujours le bon dosage : entre son Liban natal où règne la loi des initiatives privées et la France, par exemple, où les opérations publiques d'aménagement sont très cadrées. « Chaque ville a sa propre énergie », plaide-t-il. Une énergie qui se révèle dans les espaces publics : « le nerf d'une ville c'est l'espace public, c'est ce qui fait le lien entre l'individu et la société, l'intime et le collectif. A Beyrouth, on vit dans une tension permanente, l’intime ne peut s’endormir. En France, les villes sont plus douces ».

Les 100 qui font la ville

Les 100 qui font la ville, un hors-série du magazine Traits Urbains