> Commander Traits Urbains n°138/139 "Les 100 qui font la ville en 2023"
« Même si j’ai vécu à la campagne, j’ai toujours conservé un lien avec la ville... » : en égrenant son parcours biographique, Gaëlle Berthaud n’y avait pas forcément pensé. Mais ce double ancrage n’est pas sans rappeler celui du parc national des Calanques, sanctuaire de biodiversité dont elle assure la direction à Marseille depuis le 1er septembre 2022. Plus grand parc périurbain du vieux continent, le massif des Calanques s’étend sur un vaste périmètre à l’Est de la cité phocéenne. Le secteur le plus protégé, le « cœur » du parc, couvre les communes de Cassis, La Ciotat et Marseille, et s'étend sur 8 500 ha sur terre et 43 500 ha en mer. Le parc y dispose d'un pouvoir réglementaire. Autour, l'aire de libre adhésion est un espace de partenariat entre les communes volontaires et le PNC, où sont déployés les projets de développement durable.
Cette cartographie en plusieurs dimensions cache surtout un écosystème fragile. Le parc des Calanques abrite quelque 140 espèces protégées, dont l'un des trente derniers couples d'aigles de Bonelli présents en France, ainsi qu'un milieu marin riche de 60 espèces - dont des dauphins et tortues marines. Cette richesse naturelle attire les hommes : les Marseillais et les touristes qui viennent en masse déambuler sur les sentiers gérés par l’établissement public ou piquer une tête dans les eaux cristallines des criques qui font la renommée du lieu : Port Miou, Port Pin, Morgiou, Sugiton... Un succès qui a d’ailleurs contraint le gestionnaire à mettre en place une réservation pour l’accès à certains sites en haute saison.
« La proximité avec la grande ville est passionnante. Elle oblige à innover. Et cela croise des politiques publiques que j’ai eu l’occasion de toucher de près au fil de ma carrière : les déchets, la mobilité, le lien homme/nature que trois millions de personnes viennent éprouver chaque année dans les calanques », témoigne Gaëlle Berthaud.
Avant de prendre la barre de l’établissement public du PN, cette ingénieure en chef des ponts, des eaux et des forêts a en effet dirigé durant un peu plus de trois ans le Cerema Méditerranée (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) à Aix-en-Provence après avoir tenu les rênes de la délégation régionale Provence-Alpes-Côte d’Azur de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse (2013-2019). Des postes où elle a eu l’occasion d’appréhender les enjeux du changement climatique. « Gérer la ressource en eau en période de sécheresse, adapter les infrastructures de transport aux effets du réchauffement climatique, piloter la reconstruction des routes des vallées de l’arrière pays niçois après la tempête Alex... cela a été mon quotidien durant dix ans ».
A la fin de la première décennie du XXIe siècle, les experts du GIEC sonnaient l’alarme. « Quinze ans plus tard, on est sur les scénarios les plus pessimistes. L’impossible est désormais possible. Dans certains territoires, l’eau manque. La nature est mise à l’épreuve. Et l’homme doit s’adapter », constate l’ingénieure. Les Calanques, aire protégée et fragile, sont évidemment aux avant-postes. « Le parc est justement un formidable sanctuaire où l’on peut toucher du doigt la finesse du lien entre l’homme et la nature », analyse la directrice. Alors que les citadins fuient le béton et le bitume pour s’offrir un bol d’air marin à moins de 10 km de la Canebière, la mise en place de règles d’accès plus draconiennes fait débat. « Le parc est plébiscité dans sa mission de protection. On doit évidemment réguler. Mais s’adapter au changement ne se limite pas à la contrainte. Il faut informer les visiteurs pour les responsabiliser, éduquer en nouant des partenariats avec les écoles comme nous le faisons. Donner du sens est plus efficace que simplement réglementer... ».