> Commander Traits Urbains n°138/139 "Les 100 qui font la ville en 2023"
« Pour construire son nid, qui a la forme d’une sphère, l’hirondelle de fenêtre transporte 1 500 boulettes de boue dans son bec », explique Maeva Felten, responsable du programme Nature en ville à la LPO (Ligue de protection des oiseaux). Mais encore faut-il que ce migrateur transsaharien parvienne, après avoir parcouru 5 000 à 10 000 kilomètres, à trouver un lieu propice à l’implantation de son foyer, un coin de fenêtre ou une avancée de toit. Ce qui n’est pas facile tant les villes ne leur laissent plus de place pour nicher…
C’est pour endiguer le déclin des hirondelles mais aussi de l’ensemble de la faune et de la flore que Maeva Felten s’est engagée dans le programme Nature en ville de la Ligue de protection des oiseaux. Elle y anime le club U2B (Urbanisme, Bâti & Biodiversité), un groupe de réflexion qui rassemble des acteurs s’engageant pour la biodiversité urbaine : aménageurs, constructeurs, élus à l’urbanisme. « Nous y échangeons sur les bonnes pratiques, présentons des retours d’expérience, nous invitons des chercheurs à nous présenter les résultats de leurs recherches et les actions innovantes menées pour la restauration de la nature en ville. »
L’accélération de la prise en compte de la biodiversité dans l’aménagement du territoire passe par le triptyque ERC (Eviter-Réduire-Compenser). La LPO appuie sur le E (éviter) et le R (réduire) en sensibilisant les aménageurs à travailler très en amont du projet, « et surtout pas dans l’urgence », précise Maeva Felten, usant d’un argument imparable : « le fait de devoir stopper le chantier après découverte d’une espèce protégée, lorsque le diagnostic n’a pas été réalisé en amont, coûte de l’argent et du temps ». Elle ajoute : « auparavant, pour les acteurs de la construction, la préservation de la biodiversité était du domaine du réglementaire. Mais c’est en train de changer. Aujourd’hui, ils prennent davantage conscience de l’importance de ces espèces et des services écosystémiques apportés. Depuis deux ou trois ans, et surtout depuis les confinements, les Français se sont rendus compte à quel point il était important pour les citadins d’avoir un contact avec la nature et de renforcer la présence du vivant en ville. »
Depuis son enfance, Maeva Felten observe, « surtout les oiseaux et les fourmis ». Cette ingénieure agronome s’est spécialisée dans la gestion des écosystèmes, via une maîtrise agro-sciences, environnement, territoires, paysages, forêts. Native de Limoges, elle a fait ses études à Nancy, puis a été embauchée en bureaux d’études à Marseille et à Paris, où elle a réalisé des missions de terrain pour des collectivités : inventaires de zones humides, identification de parcelles à protéger, mesures de l’impact de projets de construction sur la biodiversité locale… Depuis l’échelle du projet (donc de la parcelle), à celle d’un territoire. « J’ai pu voir ainsi que les enjeux de biodiversité étaient peu pris en compte dans les PLU. »
Depuis 2021 elle vit à Rochefort, siège de la LPO, « tout près des marais » où elle va observer hérons et libellules pendant ses temps libres. Car son activité professionnelle se déploie désormais essentiellement dans des bureaux et des salles de conférences. Elle invite les aménageurs à ne plus détruire les vieux arbres, qui abritent du vivant, et, lors de projet de densification, à bien réfléchir à l’implantation du bâti pour préserver l’existant…
Un conseil : n’allez pas lui parler de « verdissement » : « on n’est pas là pour mettre de la couleur », s’agace-t-elle. Mais elle est intarissable sur la question des sols, et sur le rôle des bactéries, champignons et autres petites bêtes dans la nécessaire préservation de la biodiversité. Tout autant que sur les solutions qui guident vers la voie de la sobriété.