JA Lens

Cet été, le messin Vincent Hein a fait ses cartons pour s'installer définitivement hors de France, sans se sentir expatrié pour autant. Le nouveau directeur de la fondation luxembourgeoise Idea quitte le statut de frontalier pour s'installer au Grand-Duché sans même avoir l'impression de franchir une frontière. « Que je sois en Lorraine, au Luxembourg ou en Sarre, je me sens chez moi dans toute la Grande Région », assure l'économiste né d'un père luxembourgeois et d'une mère allemande, qui a passé son enfance à Sierck-les-Bains, commune mosellane dite des Trois Frontières.

Parlant couramment allemand et luxembourgeois, Vincent Hein a fait ses preuves durant sept ans en tant que « senior economist » à Idea avant de prendre la direction, en septembre 2023, de ce think tank atypique. La chambre de commerce du Luxembourg a créé cette association voici dix ans dans la foulée du débat public « 2030.lu – ambition pour le futur ». Lancée par l'Etat Grand-Ducal, la plateforme a recueilli plus de 350 propositions émanant de tous les horizons. Soucieuse de faire perdurer cet élan démocratique, la chambre consulaire a structuré une petite cellule de sept personnes dont cinq économistes chargés d'identifier les futurs grands enjeux socio-économiques, de produire des connaissances et des idées nouvelles et d'alimenter un débat public de qualité.

Détenteur d'un Master de sciences économiques obtenu à l'Université de Lorraine – où il a dispensé par la suite des cours d'économie géographique -, Vincent Hein a relevé ce défi avec enthousiasme. L'ex-chargé de mission du conseil économique, social et environnemental de Lorraine s'est spécialisé dans la R&D, l'innovation et la coopération transfrontalière. Présentée début 2023, son étude « Une vision territoriale pour le Luxembourg » a fait date. Corédigé par son collègue Muriel Bouchet et le géographe Romain Diederich, le document de 127 pages a interloqué le Grand-Duché par son état des lieux sans fard et sa prospective sans concession. Côté lorrain, il a séduit les observateurs par la prise en compte inédite des enjeux frontaliers généralement sous-estimés au Luxembourg.   

« La chambre de commerce prend la responsabilité de poser des diagnostics, même quand ils ne sont pas populaires. Cette liberté de penser est rassurante quant à la vitalité démocratique du Luxembourg. Ce petit pays a l'expérience des vents contraires. Il ne se repose pas sur ses lauriers, car il sait que tout peut changer rapidement », explique Vincent Hein, qui compte bien préserver la liberté de ton et le sens du dialogue qui caractérisent Idea.

Pour accompagner le Grand-Duché dans la transition démographique qui le verra passer de 600 000 à 1 million d'habitants au cours des prochaines décennies, le think tank préconise une métropolisation du territoire, un regroupement de l'emploi vers le sud du pays et une meilleure concertation qui permettrait de mobiliser les capacités urbaines des agglomérations voisines de Thionville en Moselle, d'Arlon en Wallonie et de Trèves en Rhénanie-Palatinat. « Une attitude de non-coopération relèverait du perdant-perdant. Si la politique publique n'est pas assez puissante, la situation économique, sociale et environnementale risque de se dégrader et de se polariser de part et d'autre des frontières. Il est de l’intérêt de tout le monde de se parler », affirme Vincent Hein.

L'économiste se réjouit d'avoir vu le Grand-Duché engager des dialogues thématisés avec ses voisins au cours de la dernière conférence intergouvernementale du printemps dernier. Il salue également la récente extension à 25 % du temps de télétravail accordé aux frontaliers, avec maintien des avantages sociaux luxembourgeois. Lui-même a connu la galère et le stress des travailleurs pendulaires souvent bloqués quatre heures par jour dans les embouteillages de la frontière. Devenu simultanément directeur d'Idea et résident luxembourgeois, le trentenaire se réjouit des vastes perspectives professionnelles et personnelles offertes par le Grand-Duché, où il n'exclut pas de fonder une famille.