Nadya ROUIZEM LABIED Nadya ROUIZEM LABIED

La terre crue colle aux semelles de l’architecte franco-marocaine Nadya Rouziem Labied. Praticienne depuis 2003, elle travaille dans diverses agences durant quatorze ans mais sans réelle satisfaction intellectuelle car « dans l’architecture, c’est l’aspect recherche qui [l]’intéresse le plus ». En 2016, Nadya Rouizem décide donc de reprendre ses études à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : après un post-master elle s’inscrit en doctorat. Le titre de sa thèse, lauréate de la bourse de la Caisse des Dépôts pour la recherche en architecture : « Modernisation de l’architecture en terre au Maroc 1960-1973 : expérimentations et devenir ».

Durant ses travaux elle découvre que dès les années 60, l’Etat marocain utilise la terre crue au-delà de la technique traditionnelle pour des opérations de logement social. C’est l’ingénieur des Ponts Alain Masson qui réalise le premier ensemble de près de 3 000 logements, en réfléchissant, avant l’heure, à la réactualisation de ce matériau. De sa thèse, Nadya Rouizem va tirer un ouvrage : Réinventer la terre crue. Expérimentations au Maroc depuis 1960 (Ed. Recherches, 2022).  Précieux car si les avantages écologiques de la terre crue ne sont plus à démontrer, le redémarrage de la filière reste laborieux.

Nadya Rouizem questionne en outre le caractère participatif de la terre crue, alors que les travaux de recherche sur l’implication des habitants dans le projet architectural et urbain montrent toutes les difficultés rencontrées par ces expérimentations, entre conflits d’intérêts et méthodes issues des sciences sociales présentées comme des recettes miracles. Associer la terre crue et la participation des habitants est, en effet, une démarche qui commence à être pratiquée en France, comme dans la ville de Fontaine, près de Grenoble, ou à Sevran, en Seine-Saint-Denis. S’en référant à la notion de « bricolage » dans l’œuvre de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, Nadya Rouizem défend « l’art d’utiliser ce qui est à portée de main et de le recombiner pour créer quelque chose de nouveau ; c’est peut-être ce qu’il serait intéressant de mettre en place aujourd’hui pour une réelle innovation dans les projets participatifs. » D’où la terre crue, employée dans l’architecture vernaculaire depuis des millénaires, et qui s’inscrit de surcroît dans une logique d’économie circulaire.

Très attachée au chantier, Nadya Rouizem déplore que les jeunes architectes n’en fassent plus que rarement : « Lorsqu’ils sont embauchés c’est généralement pour produire du plan, c’est-à-dire pour dessiner sur le logiciel informatique de l’agence », écrit-elle dans le récent ouvrage collectif Chantiers de ville (Ed. Recherches, 2023). « Inversement, les personnes qui suivent le chantier (qui souvent ne sont pas des architectes) ne font pas de dessin de conception, car c’est moins rentable pour l’agence. Comme si on séparait le cerveau et les mains, le conceptuel et le matériel. Cette séparation est responsable d’une partie des difficultés actuelles de notre profession. Le chantier nous échappe puisqu’il est de plus en plus confié à des bureaux d’études, en particulier en maîtrise d’ouvrage privée. Peut-être pour réinvestir cette phase, étudiants et jeunes architectes prennent de plus en plus part aux chantiers participatifs, qui leur permettent de se réapproprier cet aspect concret et essentiel de leur métier. […] L’apprentissage se fait de façon bottom up, c’est souvent l’artisan qui forme les universitaires. » Les étudiants de Nadya Rouizem à l’ENSA Paris-Val-de-Seine ont, eux, la chance de recevoir un enseignement fondateur.

 

 

> Commander Traits Urbains n°138/139 "Les 100 qui font la ville en 2023"

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Les 100 qui font la ville

Les 100 qui font la ville, un hors-série du magazine Traits Urbains