Anna SAINT-PIERRE Anna SAINT-PIERRE

Anna Saint-Pierre fait de la ville, ou plutôt de ses vestiges, le terrain de jeu de son renouveau. Passée par l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de 2012 à 2016, section design textile et matière, elle s’engage ensuite dans le programme doctoral Sciences, arts, création, recherche (SACRe) à l’Université Paris Sciences et Lettres. Elle y soutient en mars 2022 une thèse intitulée « Textiliser la mémoire bâtie, par la réutilisation in situ des gravats », sous la co-direction de Jean-François Bassereau, Aurélie Moss et Éric de Thoisy. Cette thèse CIFRE, subventionnée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, a été développée avec l’agence d’architecture SCAU.

Voici un fragment du résumé : « Une architecture dont la démolition a fait disparaître la forme peut-elle transmettre une mémoire par la sauvegarde de ses matériaux ? » Tout l’enjeu est gravé dans ce questionnement. On devine la réponse positive, il faut le démontrer. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, clamait d’un ton voisin le chimiste Lavoisier. Chez Anna Saint-Pierre, création il y a. Les résultats de ses recherches « modifient l’appréciation du contenu des bennes de démolition, et plus largement de l’environnement urbain, en les appréhendant comme de futurs gisements ».

2022, la belle année. Elle reçoit aussi le Grand prix du design, Talent émergent de la Ville de Paris. Il récompense ses travaux sur la transformation des matériaux de démolition et d’excavation de chantiers, pour ouvrir une nouvelle trace et faire vivre l’histoire des sites. Elle réhabilite avec ce projet une tradition ancienne remise au goût du jour dans les années soixante-dix sous une forme préfabriquée, avant de retomber en désuétude : le mélange de déchets de carrière et de matériaux de démolition pour composer notamment des sols en granito ou terrazzo.

Anna Saint-Pierre, c’est l’art de faire du beau avec du vieux ; c’est aussi une habile réécriture de la pratique du palimpseste. Tout bâtiment originel dont les décombres se trouvent réemployés peut dès lors prétendre à une seconde lecture. Pour de nouvelles compositions visuelles, pour magnifier les stigmates du passé aussi. Autre exemple avec son projet « Brèches » porté avec l’organisation culturelle Manifesto, et choisi mi-juin 2023 par les Ateliers Médicis au titre du 1 % artistique de leur futur bâtiment prévu pour le printemps 2026. Son ambition ? Sublimer la mémoire du bâti, en inventant des textures, des couleurs et des formes à partir de l’histoire de la tour Utrillo et de ses matériaux, de la cité du Chêne-Pointu, du quartier, et plus largement du territoire de Clichy-sous-Bois et Montfermeil. Le jury a été sensible à cette célébration mémorielle. « Ces lieux, centraux dans le tissu social il y a encore quelques années […] peuvent réapparaître sous une nouvelle forme, et les riverains conserver un lien affectif avec eux. Ne pas effacer totalement la présence de ces édifices permet de rendre hommage à leurs habitants, à leurs histoires », commente-t-elle. Dans l’antre des gravats, il y a de la considération pour l’autre, les autres, nous autres.

Un son produit en 2021 par France Culture résume bien toutes ses intentions : « Aujourd’hui à l’ère de l’anthropocène et de toutes les questions que cela peut poser aux architectes, aux designers, on pourrait considérer que tout matériau mérite une forme de conservation et qu’il faille arrêter ce dualisme jetable et conservable. » L’histoire est un autre futur.

 

 

> Commander Traits Urbains n°138/139 "Les 100 qui font la ville en 2023"

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Les 100 qui font la ville

Les 100 qui font la ville, un hors-série du magazine Traits Urbains