> Commander Traits Urbains n°138/139 "Les 100 qui font la ville en 2023"
© Mairie de Dunkerque
Pourquoi j’ai mangé mon père. Le titre du roman de Roy Lewis pourrait décrire la trajectoire de Patrice Vergriete, qui prit une autre dimension, il y a dix ans, quand celui-ci se mua en opposant de celui dont il fut douze ans durant le fidèle adjoint voire le fils en politique, un certain Michel Delebarre, sept fois ministre sous François Mitterrand. Il en fallait du cran et de l’ambition pour s’attaquer à un éléphant du Parti socialiste dans sa savane. L’intelligence de Vergriete a surtout été de flairer le bon moment. Vingt-cinq ans de règne sur la Flandre maritime avaient, en effet, fini par enfermer Delebarre, champion du cumul des mandats, dans une tour d’ivoire, ses plus proches collaborateurs n’étant même plus invités à franchir le seuil de son bureau. A la faveur d’un profond désaccord sur un projet de construction en PPP avec Vinci d’une Arena de 10 000 places à Dunkerque, Patrice Vergriete prend donc la décision de démissionner, il quitte simultanément le PS, se présente sans étiquette aux Municipales de 2014 et rafle la mise.
Le changement de style est radical. Vergriete ouvre les fenêtres de la mairie et fait prendre une décision forte à la Communauté urbaine, dont il s’est également emparé de la présidence : la résiliation du contrat avec Vinci, selon le raisonnement qu’il vaut mieux payer une fois une indemnité de 13 millions d’euros qu’un loyer annuel de près de 7 millions d’euros sur 27 échéances. « Ce sera autant de gagné pour de vrais projets d’avenir », plaide-t-il alors. Des projets dont les Dunkerquois ne vont effectivement pas tarder à voir la couleur. Il met notamment en place la gratuité totale des transports en commun pour l’ensemble de la population de l’agglomération, développe sur le modèle belge le caractère balnéaire très sous-exploité de sa cité et surfe très opportunément sur le tournage du film Dunkerque de Christopher Nolan, en particulier en lançant un colloque international des « villes mémoires » pour « engager une réflexion sur les différentes façons dont les territoires meurtris peuvent se reconstruire ».
Le sujet du renouvellement urbain, Patrice Vergriete le connaît comme sa poche : il a dirigé de 2000 à 2008 l’Agur (Agence d’urbanisme Flandre-Dunkerque) puis effectué pour le LATTS (Laboratoire techniques, territoires et sociétés) un travail de recherche sur le logement ponctué d’une thèse de doctorat. Issu d’une famille modeste du Dunkerquois, il est une tête de gondole pour l’école de la République : classe préparatoire à Louis-Le-Grand, lauréat du concours de Polytechnique, ingénieur des Ponts. Politiquement, il a également été à bonne école, dans les cabinets de Martine Aubry et Claude Bartolone, puis, donc, au sein de l’équipe de Michel Delebarre. D’où la politique du logement « plus juste socialement », « en s’adressant aux publics qui en ont le plus besoin », et « plus ciblée géographiquement », qu’il défendait au mois d’août alors qu’il présentait à la presse sa nouvelle feuille de route de ministre.
Patrice Vergriete ne sortira pas de son chapeau une énième « recette miracle » à la crise, type Scellier, Duflot ou Pinel, dont il dit avoir mesuré « tous les effets pervers » lors de son travail de thésard, soit. En même temps il prétend, beaucoup plus aventureusement, « changer les règles du jeu de la politique du logement ». A priori le casting macronien est pertinent mais ils sont si nombreux à s'être perdus en route...